Quipus des Incas
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by Pepe ©
 
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Origine, raisons, hasard
En 1532, la guerre fait rage entre les deux frères ennemis incas, Atahualpa, installé à Quito, en Equateur, et Huascar, de Cuzco, au Pérou. Cette querelle fratricide, qui résulte de la division de l'Empire à la mort de leur père Huayna Capac, sept ans plus tôt, allait précipiter la chute de la civilisation inca, car la même année, l'Espagnol Franscisco Pizzaro débarque sur les rivages de l'Equateur avec ses plans de conquête: l'affaiblissement de l'empire et les dissensions lui faciliteront grandement la tâche.
Quelque années plus tard, l'historien métis, Garcilaso de la Vega, dit l'Inca, apprend la langue des indigènes et parcourt l'empire colonisé, recueillant les traditions. Selon sa description, lorsqu'ils allaient au Cuszo pour payer leurs tribus aux nouveaux maîtres venus de l'Ancien Monde, les Indiens filaient des fils d'une ou de plusieurs couleurs sur lesquels ils inscrivaient les nombres au moyen de nœuds. Ces fils étaient ensuite enfilés en ordre le long d'un cordon principal, comme des franges. Ces dispositifs de numération sont des quipus (ce mot signifie nœud en Quechua, la langue des Incas). Outre ce contenu numérique; les quipus auraient aussi été les dépositaires d'une information littéraire dont le déchiffrement partage les experts.
L'Empire inca ne connaissant pas l'écriture, et dans cet Etat pourtant bien organisé où tout était minutieusement et méthodiquement répertorié, ces quipus étaient le seul moyen de transporter une information. Ces quipus servaient aux statistiques de l'Etat: recensement, états des stocks, produits des mines, composition de la main-d'œuvre, etc., chaque quipu constituait un livre de comptes.
Outre les biens matériels et humains, les quipus ont aussi été les dépositaires des grandes ballades, de lois ou des traités de paix. Les messages étaient transportés le long d'un réseau routier qu'empruntaient des coursiers, un peu comme les cavaliers du Pony express: les coureurs se relayaient de poste en poste jusqu'à la destination finale. Seuls les administrateurs, nommés quipucamayocs (les gardiens des quipus), connaissaient la clé des quipus. La plupart des quipus entreposés à Cuzco ou en province ont été détruits par les généraux d'Atahualpa et, plus tard, par les officiers royaux, obéissant à l'ordre du vice-roi Francisco de Toledo d'éliminer les traditions. D'autres ont servi de combustible aux bûchers où les prêtres faisaient brûler les idoles et tous les objets de culte.
 
Ruines d'un bastion inca, à Ingapirca, en Equateur, dont les ressources, en hommes ou en nourriture, étaient comptabilisées, comme dans tout l'empire, dans des livres de comptes originaux: les quipus, des dispositifs constitués de cordes dont les noeuds codent les nombres. Les quipucamayocs, c'est-à-dire les gardiens des quipus, étaient les seuls détenteurs du savoir concernant la confection de tels quipus.

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Anatomie d'un quipu
Les rares exemplaires (environ 500) que l'on peut admirer aujourd'hui dans les musées ont été retrouvés dans des sites funéraires, car les Incas étaient enterrés avec les objets qu'ils avaient utilisés de leur vivant.
 

 
De la Vega était précis dans ses observations: un quipu est constitué d'une corde épaisse, dite principape, où d'autres cordes, de 20 à 50 centimètres de longueur, sont liées. Un quipu peut contenir jusqu'à 2 000 cordes. Quand un quipu est étendu sur un plan horizontal, certaines de ces cordes, les cordes du bas, sont orientées dans un sens, les cordes d'en haut l'étant dans l'autre sens (les attaches sont bien serrées et ne laissent pas de doute quant à l'orientation de ces cordes).
 

 
Par ailleurs, certaine cordes, dites secondaires, sont attachées aux cordes d'en haut ou d'en bas. Enfin, la plupart des cordes sont nouées. Que signifient-ils ? Malgré les informations recueillies par les chroniqueurs espagnols, le mystère des quipus n'a été percé qu'en 1912 par l'Américain Leland Locke. Celui-ci décrivit un quipu du Musée d'histoire naturelle de New-York.
 
Le quipu que Leland Locke a étudié a livré la clef de la numérotation inca. Les Incas comptaient en base 10 selon un système positionnel, les nœuds longs (en violet) représentent les unités aux extrémités des cordes. Quand il n'y a qu'une unité, on la notait par un nœud en huit (en orange) pour ne pas la confondre avec les nœuds simples qui marquaient les autres puissances de 10 (en vert, les dizaines; en rouge, les centaines; en bleu, les milliers). A chacune d'elles correspond un groupe de nœuds et les puissances de 10 augmentent de l'extrémité vers la corde principale. Les nombres codés sur les cordes d'en haut sont les sommes des nombres d'en bas qu'ils entouraient.

 
Grâce aux écrits de l'incontournable de la Vega, Locke sait que la valeur des nombres codés par les nœuds dépend de leur position le long de chacune des cordes. Ces cordes contiennent trois groupes de nœuds: un groupe inférieur, qu'il interpréta comme étant celui des unités; un groupe central pour les dizaines; enfin un groupe près de la corde principale pour les centaines.
Ses hypothèses sont confirmées quand il remarque que chaque groupe de cordes d'en bas est enlacé par une corde d'en haut dont la valeur indiquée par des nœuds correspond à la somme des autres.

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Trois types de nœuds
Ainsi, la représentation des nombres sur les quipus est similaire à notre système de position en base 10. Rappelons-en les principales caractéristiques. Nous disposons de dix symboles distincts, les chiffres de 0 à 9. Dans un nombe tel que 6 489, chaque chiffre correspond à la quantité d'une puissance nième de 10, n variant de 0, à droite, et augmentant de 1 chaque fois que l'on se déplace d'un rang vers la gauche. Par exemple, 6 489 est égal à 6000 + 400 + 80 + 9, soit 6x103 + 4x102 + 8x102 + 9x100. Notons que le système positionnel n'est pas lié à la base 10. Par exemple, les Mayas comptaient en système vigésimal, c'est-à-dire en base 20, et utilisaient aussi un système positionnel.
Les nœuds que portent les cordes sont de trois types seulement: les nœuds simples, les nœuds longs (il s'agit d'un nœud simple pour pour lequel on fait plusieurs passages avant de serrer) et les nœuds en huit. Sur une corde, les nœuds sont repartis, en groupes de un à neuf nœuds (on retrouve nos neuf chiffres, excepté le zéro), chaque groupe étant affecté d'une puissance de 10 croissante à mesure que l'on se rapproche de la corde principale.
Le plus souvent, les unités sont notées par des nœuds longs, le nombre de passages indiquant le nombre d'unités, tandis que les puissances de 10 ne sont par des nœuds simples. Cependant, lorsqu'il n'y a qu'une seule unité, le nœud ne long à un seul passage est un nœud simple: dans ce cas, on fait un nœud en huit.
Sur les cordes, le zéro est indiqué par l'absence de nœud dans un groupe. Les unités sont facilement identifiées par le type de nœud, tandis que les groupes de nœuds sont alignés sur la même position sur toutes les cordes, de sorte que l'on repère aisément les positions dépourvues de nœuds. De plus, l'absence d'ambiguïté pour les unités aidant, on observe parfois plusieurs nombres indiqués sur une même corde.
Selon  l'historien de la Vega, on peut connaître la signification la signification extranumérale des cordelettes grâce aux couleurs, certains fils étant d'une seule couleur, d'autres de deux, de trois ou plus encore. Les couleurs simples et les combinaisons auraient chacune leur propre signification.

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Le contenu "extranuméral" vers un dénouement
Sur certains quipus, on a identifé l'expression des ressources en armes d'un groupe, des combinaisons de couleurs indiquant de façon hiérarchique les armes les plus nobles telles les lances, puis sur la deuxième les dards, puis les arcs, les flèches jusqu'aux masses, les haches et les frondes.
Le sens de la torsion des fils de la corde aurait également une signification. Les cordes dont les fils tournent vers la droite représenteraient des choses positives, alors que les cordes filéses dans l'autre direction auraient un sens plutôt négatif.
Un tel sens caché dans le filage résoudrait le mystère de l'absence d'écriture: comment une civilisation hautement élaborée, qui étendait son pouvoir sur un territoire recouvrant aujourd'hui le Pérou, la Bolivie, l'Equateur et le Nord du Chili et de l'Argentine, pouvait-elle se passer d'écriture ? Autant imaginer les Grecs sans langue !
Gary Urton, de l'Université de Harvard, pense avoir mis au jour un langage en code binaire transcrit dans les cordes des quipus. Il s'agirait d'un système complètement inédit - encore objet de débat -, radicalement différent de notre système d'écriture. Selon Gary Urton, chacun des nœuds serait le résultat d'une succession de six décisions (les archéologues du Néolithique européen parleraient de chaînes opératoires). Le nœud doit-il être fait en laine de lama ou en laine ? Une corde est-elle d'en haut ou d'en bas ? Les fils doivent-ils être rouges ou bleus ? En ce qui concerne les couleurs, Gary Urton utilise la terminologie et le symbolisme des couleurs encore en usage chez les tisseurs boliviens: ils distinguent 24 couleurs.
En tout, l'anthropologue distingue six décisions binaires et une à choix mutiples (la couleur). Au final, le répertoire d'un quipu contiendrait 26x24 = 1536 signes d'informations distincts. Ce répertoire est plus large que celui de l'écriture cunéiforme de Mésopotamie ou que celui des hiéroglyphes égyptiens. Un quipu serait donc plus qu'un aide-mémoire.
Gary Urton a entrepris d'informatiser tous les détails des quipus disponibles et de rendre accessibles ces données à tous ceux qui souhaiteraient s'attaquer au code.
En juin 2003, Carrie Brezine, tisseuse et mathématicienne, a apporté une copie des transcriptions de quipus retrouvés peu avant dans une caverne au-dessus du lac des Condors, au Nord du Pérou. De longues séries de nœuds étaient quasi identiques sur trois des quipus, montrant que l'information était copiée de l'un à l'autre, de la même façon que les moines copistes du Moyen-Age reproduisaient les manuscrits à la main.
Le contenu extranuméral des quipus a une autre avocat en la personne des Laura Laurencich Minelli, de l'Université de Bologne. Elle a récemment décrit un manuscrit du XVIIe siècle, vraisemblablement de Joan Antonio Cumis et de Joan Anello Oliva, qui contiendrait des informations détaillées sur les "quipus littéraires". Dans le document des deux jésuites, étaient intercalées trois pages de dessins signées "Blas valera" et une enveloppe où était inséré un fragment de quipu.
Selon Cumis, certains quipus, dit royaux, se distinguaient de ceux employés comme aide-mémoire de comptabilité. Cependant, peu auraient survécu aux autodafés des Espagnols.
A propos de la façon dont le Quechua était "écrit" avec des nœuds, Cumis note que: "La rareté des mots et des possibilités de modifier un même terme avec des particules ou des suffixes a permis aux Incas de confectionner un dictionnaire sans papier ni encre ni stylo... Mon interlocuteur dressa ensuite la liste des principaux mots ainsi que la façon de les encoder dans un quipu."
Aujourd'hui, seules les règles numériques ont été déchiffrées avec certitude et il reste à élucider le mystère des combinaisons de symboles, de couleurs et de positions.
Charles Mann, Cracking the Khipu Code, en Science, vol 300. n°5626 pp.1650-1651, 2003
Marcia et Robert Ascher, Mathematics of the Incas: Code of the Khipu, Dover edition, 1997

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Réseau Pepe
Pour la Science avril / juin 2005 Mathématiques exotiques n°47
 
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