Entrelacs celtes
Enluminures des moines irlandais
Les graphes d'entrelacs
Comprendre un entrelac
Construire un entrelac
Les références
Entrelacs de gens illustres
by Pepe ©
 
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Enluminures des moines irlandais
Les enluminures celtes et leurs entrelacs se comprennent grâce aux mathématiques des graphes
Les nœuds en entrelacs remontent à la civilisation celte qui, déjà au IVe siècle avant notre ère, sculptait de tels motifs sur les menhirs dressés. Vers le VIe siècle, les moines irlandais, qui copiaient inlassablement la Bible, ont christianisé ces motifs et les ont incorporés en tant qu'enluminures dans leurs pages de calligraphie. Les motifs tortueux et savants des casques saxons et des fibules celtes cèdent la place à de grandes frises sévères et serrées. Cette technique aura ses chefs-d'œuvre, notamment les Bibles enluminées de Kells (du VIIe siècle).

Entrelacs
Les entrelacs sont caractérisitiques de la culture celte. Le nœud est extrait d'un évangile enluminé du VIIIe siècle, conservé à Dublin, au Trinity College.


La croix celtique est érigée dans un cimetière du comté Wicklow, au sud de Dublin, sur la côte Est de l'Irlande.


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Les graphes d'entrelacs
Un entrelacs est un ensemble de brins emmêlés. Ses représentations sont diverses. Le plus souvent, un simple trait suffit: on indique un passage par-dessous en interrompant le trait (a). On peut aussi donner une épaisseur au trait, associer une couleur à chaque brin (b), ouvrir certaines boucles et fixer les extrémités (c): on obtient un enchevêtrement. Enfin, on peut orienter les boucles (d).


Le graphe d'un entrelacs (en rouge) est constitué de lignes au milieu desquels se placent les croisements de l'entrelacs. La courbe représentant l'entrelacs partage le plan en une région infinie et plusieurs régions fermées. Pour dessiner son graphe, on commence par colorier cette région infinie. Puis, à chaque fois que l'on franchit un brin, on laisse alternativement la région atteinte en blanc et en couleur; de cette façon, les zones de même couleur n'ont qu'un point de croisement en commun, comme un échiquier (a).
L'étape suivante consiste à joindre les centres des zones restées blanches: on obtient les arêtes du graphe. Enfin, le signe d'une arête indique quel type de croisement se trouve en son milieu: l'arête positive et dessinée en trait plein lorsque le brin qui passe au-dessus vient de la gauche quand on est dans la zone blanche, négative et en pointillés sinon (b).
Pour déduire un entrelacs d'un graphe, dessinez chaque type d'arête et son croisement associé sur un carré de papier que vous poserez sur les arêtes de votre graphe. Lorsque l'entrelacs est projeté non pas sur le plan, mais sur une sphère, deux graphes distincts correspondent au même entrelacs (c): ces graphes sont duaux, ce qui signifie que les sommets de l'un sont les centres des faces de l'autre, et que leurs arêtes sont de signes opposés.


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Graphe planaire
Pour mieux visualiser la géométrie d'un entrelacs, nous construisons un graphe planaire à arêtes signées - le graphe médial - selon la construction illustrée ci-dessus. Le dessin de l'entrelacs

A propos de la projection d'un entrelacs sur une sphère, la correspondance est univoque: il n'y a pas de zone s'étendant à l'infini, et aucune zone n'est distinguée des autres. Dans ce cas, deux graphes planaires à arêtes signées (positive ou négative) codent la même projection. Le deuxième est le graphe dual du premier, obtenu en plaçant les sommets non pas au centre des cellules blanches, mais au centre des cellules noires. A chaque arête de l'un correspond une arête de l'autre, de signe opposé et qui la coupe en un seul point; à chaque sommet de l'un correspond une face de l'autre et réciproquement.

Un entrelacs semble compliqué, alors qu'un graphe planaire est un objet combinatoire assez simple, facile à reproduire et à créer. La méthode de construction d'un entrelacs reprend en sens inverse la construction qui associe à un entrelacs un graphe planaire à arêtes signées. Lorsque nous aurons compris comment, étant donné un graphe, on retrouve l'entrelacs associé, nous verrons comment composer un graphe qui donne un bel entrelacs. Ensuite libre à vous de créer vos enluminures.

La méthode de construction

Pour construire un entrelacs associé à un graphe, il suffit de dessiner sur chaque arête "signée" un sommet qui lui correspond: placez le croisement de deux brins bien au milieu de l'arête, avec les "dessus-dessous" qui correspondent à son signe. Ensuite, vous reliez les bouts des brins jusqu'à ce qu'ils soient tous raccordés.
Les premiers dessins obtenus sont hésitants, plein de ratures et de traits mal gommés. Faites d'abord une ébauche de l'entrelacs en appliquant la méthode rigoureusement, puis rectifiez le trajet chaotique de chaque brin en une belle courbe sinueuse, en tenant compte de la direction générale du brin. Après avoir repris chaque croisement pour décider des "dessus-dessous", considérez chaque brin comme un boyau, que vous gonflez. Commencez par vous exercer sur une frise simple, qui s'appuie sur un réseau triangulaire dont on a effacé une arête tous les pas et demi (une arête sur trois).

Comparez maintenant votre tresse à celle obtenue sur la frise triangulaire où aucune arête ne manque. Afin de ne pas confondre une telle omission avec un coup de gomme malheureux, traçons malgré tout l'arête, et barrons-là d'un épais trait rouge.


Nous pouvons interpréter ce trait transversal comme un mur sur lequel rebondissent les brins, et qui les empêche de se croiser. Une autre façon d'empêcher le croisement consiste en des murs longitudinaux qui sont autant d'arêtes infranchissables.
Nous disposons maintenant de quatre types d'arêtes: les "+", les "-", les murs transversaux et les murs longitudinaux. La tresse triangulaire précédente est ainsi associée au graphe triangulaire avec un mur transversal toutes les trois arêtes. Lorsqu'on passe d'un réseau à son dual, une arête portant un mur transversal devient une arête portant un mur longitudinal. Cette façon de dessiner simplifie la représentation du graphe sous-jacent, et aide à la mémorisation de ses périodicités. Maintenant, vous pouvez vous amuser à créer votre propre graphe.

Création d'un graphe
Construisez un graphe planaire quelconque à arêtes signées, avec six ou huit sommets et de 1 à 15 arêtes. Saupoudrez de signes (les mêmes signes partout, c'est souvent plus joli), de murs longitudinaux er de murs transversaux (pas trop). Affûtez votre crayon et à vous de jouer.
Quelque règles simples donnent à coup sûr un bel entrelacs. La première est de partir d'un réseau régulier que l'on perturbe; la deuxième, quand on est déjà confiant, dirige la croissance d'un graphe autour d'un centre; la troisième, pour les spécialistes que vous allez devenir, consiste à "encapsuler" des motifs afin de les insérer dans de grandes réalisations.
Commençons par perturber un réseau. Pour obtenir un graphe équilibré, le plus simple est de partir d'un réseau standard (carré, triangulaire, hexagonal), et d'y insérer de façon "appropriée" de murs, c'est-à-dire assez symétrique et périodique. Pour débuter, les frises élaborées sur des réseaux carrés sont les pus gratifiantes. Cela ne peut pas rater. Essayez ensuite avec deux séries de carrés superposées, ou une frise à base de triangles ou d'hexagones ... Vous pouvez aussi déformer vos frises pour les mettre sur un cercle: si son rayon n'est pas trop petit, le motif n'est pas exagérément déformé.
Il existe deux autres techniques pour construire un graphe. L'une, dite "vers l'extérieur", consiste à faire croître le graphe à partir d'un centre, sans trop contrôler l'espace que le motif va occuper; dans l'autre, dite "vers l'intérieur", on fixe d'abord la zone que va occuper le motif, puis on construit le graphe à l'intérieur de celle-ci. Les deux méthodes fonctionnent en synergie.

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Construction vers l'extérieur et encapsulation
Pour commencer, élaborer un graphe quelconque, avec peu d'éléments, disons six ou septs sommets et une dizaine d'arêtes, de longueurs semblables. Tâchez de répartir équitablement les sommets: considérez les arêtes comme des ressorts de même raideur et de même longueur à vide, les sommets comme des mobiles, et relâchez le tout en maintenant fixes certains sommets. Appliquez-vous à faire émerger votre entrelacs de cette structure, en ajustant la position des sommets, la longueur des arêtes et les perturbations locales jusqu'à ce que votre création vous plaise. Notez le motif.
Quand vous avez plusieurs motif à votre goût, assemblez-les pour en faire un plus grand: il suffit de dessiner les graphes à la même échelle, assez proches l'un de l'autre, à une distance égale à la longueur moyenne des arêtes, puis de rajouter quelques arêtes allant d'un sommet d'un graphe à un sommet de l'autre. N'ajoutez qu'une, deux ou trois arêtes, sinon les motifs de départ seront  méconaissables: il faut les fusionner juste assez pour qu'ils s'unissent sans perdre leur individualité.
Pour automatiser cette procédure, il est pratique de "mettre en boîte", d'encapsuler votre motif, c'est-à-dire de tracer un polygone autour de l'entrelacs. il est alors plus naturel de considérer le graphe dual de celui à parti duquel vous avez construit votre entrelacs: partant d'un point du polygone qui entoure votre entrelacs et en travers de l'arête du graphe intial: arrêtez la nouvelle arête au-delà de l'arête initiale, au centre de l'ancienne face, où vous placez un nouveau sommet. Continuez de proche en proche, jusqu'à ce qu'une nouvelle arête corresponde à chaque croisement de l'entrelacs. Vous avez construit le graphe dual de votre graphe de départ. N'hésitez pas à mettre plusieurs sommets dans la même face lorsqu'elle est étendue; vous les fusionner en les rejoignant par un mur longitudinal.
De même, quand votre graphe initial contient des arêtes avec des murs, présentez l'arête dual: un mur longitudinal devient un mur transversal et vice versa. Ainsi l'encapsulation d'un motif bâti sur un réseau triangulaire donne un graphe porté par un réseau hexagonal.


L'encapsulation d'un motif permet d'insérer des entrelacs dans de vastes fresques. Choisissez un motif: celui-ci est créé à partir d'un réseau triangulaire. Enfermez son graphe dans un polygone (ici un triangle). Puis dessinez son graphe dual. Votre motif est encapsulé.

Il est important de savoir jongler entre un graphe et son graphe dual: l'un des deux est souvent plus simple que l'autre. Alors avant d'apprendre par cœur le graphe de votre motif favori, examinez son dual !
La clé de l'encapsulation d'un entrelacs est donc la construction du graphe dual à celui (a priori plus naturel) qui a servi à le concevoir. Nous avons maintenant un graphe dont toutes les arêtes externes sont des murs longitudinaux: il est enfermé dans un rempart polygonal. Ce rempart facilitera l'élaboration de motifs plus complexes, par concaténation, juxtaposition de motifs simples encapsulés: il suffit de prendre deux polygones à la même échelle, d'aligner quelques arêtes externes et de les rapprocher jusqu'à faire coïncider quelques murs des deux remparts. On peut alors ouvrir une ou deux portes dans les remparts, et les deux entrelacs se mélangent. Notre motif triangulaire ci-dessus peut ainsi servir tel quel à construire une étoile à cinq branches.


Lorsque votre motif est encapsulé, vous pouvez en paver l'espace, en le déformant peut-être légèrement. Ouvrez ensuite quelques portes pour laisser le motif se mélanger à la masse.

Pour faire une belle enluminure, prenez le temps de construire à main levée quelques motifs originaux, et construisez une bonne partie de l'enluminure totale à partir de ces motifs. Pour cela, il faut d'abord les encapsuler.

Construction à l'intérieur
Quand vous souhaitez faire une vraie enluminure, censée illustrer un texte ou encadrer un objet, définissez soigneusement la zone où vous voulez que vos entrelacs s'inscrivent, par exemple un disque, un rectangle, une croix, une banbe, etc. Partagez votre espace intérieur en sous-zones de façon à les paver à l'aide des motifs que vous avez choisis. Il faut bien sû avoir choisi l'échelle du dessin, c'est-à-dire la largeur des rubans que vous voulez utiliser: elle détermine la longueur moyenne des arêtes, soit près d'une fois et demie la largeur des rubans. Les différents motifs doivent donc être à des échelles compatibles.
Le contour de ces zones formera les murailles principales de l'entrelacs, c'est-à-dire des arêtes du graphe portant des murs longitudinaux. A l'intérieur des boîtes, recopiez le graphe encapsulé des motifs choisis. Il est parfois impossible de paver tout l'espace par des capsules. il reste alors des vides, qu'il faut remplir avec un graphe régulier, sans trop de fioritures: votre étalon de longueur à la main, semez périodiquement des sommets sur les murailles (ou plutôt des demi-sommets, puisqu'ils ne sont pas censés coïncider avec ceux des motifs encapsulés). A l'approche d'un angle aigu, augmentez le pas entre les sommets, sinon l'entrelacs y sera serré. En vous appuyant sur ces sommets, faites pousser un graphe harmonieusement, ses arêtes étant approximativement de la taille décidée, les sommets bien éloignés les uns des autres, jusqu'à ce qu'il remplisse tout l'espace intérieur.
Enfin, lorsque tout l'espace est quadrillé par des graphes, ouvrez quelques portes dans certaines arêtes de la muraille, pour relier les motifs entre eux.



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Réseau Pepe
Christian Mercat maître de conférences en mathématiques, à l'Université de Montpellier II.
Pour la Science avril / juin 2005 Mathématiques exotiques n°47

Pourquoi ce site
Je crois que, si les êtres humains que nous sommes ne parviennent pas toujours à évoluer comme ils le souhaiteraient _à s'épanouir professionnellement, sentimentalement et sexuellement (ce que j'appelle les trois pôles d'intérêts) c'est parce qu'il y a des barrages qui entravent leur désir d'accéder à un rêve inachevé. Je pars du principe que tout est possible, à condition de s'entourer de gens qui nous poussent à croire en nous.

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Personnages, animaux et enchevêtrements
Si vous maîtrisez le passage d'un graphe à son dual, vous êtes habitué à des graphes ceints d'une muraille, duaux des graphes libres. Construisez des graphes mixtes, dont le bord est composé de murailles séparées par quelques portes: chaque muraille isole de longs brins, qui la longent par l'extérieur. En coupant ces brins extérieurs, on obtient des bouts émergeant de l'entrelacs central. Ces extrémités vont toujours par paire: impossible de faire un enchevêtrement n'ayant qu'une extrémité.
Cette méthode, la semi-encapsulation, conduit à des motifs plus souples à manipuler, à assembler, et qui se mêlent à des personnages par certaines extrémités (cheveux, barbe, queue, langue ou bras). Dès lors, vous pouvez réaliser de jolies compositions, associant entrelacs, animaux et spirales.
Les Celtes ne connaissaient pas les graphes planaires à arêtes signées. Pourtant en examinant des originaux du Moyen Age, on reconnaît des traits de construction similaires à la méthode décrire ici: les points qui semblent avoir guidé les moines irlandais sont ceux que nous nommons les sommets du graphe et de son graphe dual. Toutefois, les motifs qu'ils réussissaient à construire ainsi sont pauvres en comparaison de ceux, plus anciens, gravés sur les menhirs.

Après les moines irlandais, la technique semble se perdre, car les quelques rares motifs européens retrouvés paraissent des copies et des juxtapositions de créations irlandaises. A la Renaissance, Léonard de Vinci et Michel Ange dessinent quelques entrelacs, qu'ils nomment humblement concaténations, mais aucune description de leur méthode.
Hors de la sphère occidentale, les Arabes maîtrisent, depuis toujours semble-t-il, la construction des entrelacs les plus sophistiqués, qu'ils traitent en pavage de céramique ou en enluminures de textes sacrés. Certains sont de même allure que les enluminures celtes, mais la plupart sont plus sophistiquées.