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Yoga

Yoga intégral (Aurobindo Ghose, 1872-1950)

Silence mental

Le premier travail du yoga, c'est de respirer au large, il faut déplacer le centre.

Ce qu'il faut, c'est clarifier le passage entre le mental extérieur et l'être intérieur, car la conscience yoguique et ses pouvoirs sont déjà là en nous.

Pour se faire, il faut pratiquer le silence mental là où il est apparemment le plus difficile, c'est-à-dire dans la rue, dans le métro, dans le travail et partout.

Transition

Nous sommes ici en quête d'un autre pays, mais il faut bien se le dire, entre celui que nous quittons et celui qui n'est pas encore là, il y a un “no man's land” assez pénible.

C'est une période d'épreuve, plus ou moins longue suivant notre détermination; mais de tout temps, nous le savons, depuis les initiations asiatiques, égyptiennes ou orphiques, jusqu'à la quête du Graal, l'histoire de notre ascension s'est accompagnée d'épreuves.

Epreuve finale

L'épreuve principale de cette transition, est le vide intérieur.

Cette situation transitionnelle conduirait aisément à une sorte de “nihilisme absurde” — rien dehors, mais rien dedans non plus. Ni d'un côté ni de l'autre. C'est là qu'il faut prendre bien garde, après avoir démoli nos constructions mentales extérieures, de ne pas s'enfermer à nouveau dans une fausse profondeur, sous une autre construction, absurde, illusionniste ou sceptique, peut-être même révoltée. Il faut aller plus loin.

“Quand on a commencé le yoga, il faut aller jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte, car si on lâche le fil, on risque de ne plus jamais le retrouver. C'est vraiment là l'épreuve.”

Ce n'est pas une diminution de conscience, mais un passage à une nouvelle conscience : “Il faut que la coupe de l'être soit vidée et nettoyée pour s'emplir à nouveau de la liqueur divine”. Notre seule ressource en ces circonstances est de nous accrocher à notre aspiration et de la faire grandir, grandir, justement par ce terrible manque de tout, comme un feu où nous jetons toutes nos vieilles choses, notre vieille vie, nos vieilles idées, nos sentiments — simplement, nous avons la foi inébranlable que, derrière ce passage, il y a une porte qui s'ouvre.

Il s'agit d'une pré-connaissance, quelque chose en nous qui sait avant nous, qui voit avant nous et qui envoie sa vision à la surface sous forme de besoin, de quête, de foi inexplicable. “La foi”, dit Sri Aurobindo, “est une intuition qui non seulement attend l'expérience pour être justifiée, mais qui conduit à l'expérience”.

Évolution

“Yoga” signifie essentiellement un changement ou une transformation, une élévation et un élargissement de la conscience qui sont effectués par la communion (union, identification) avec une conscience plus haute et plus vaste.

La Gîtâ

La “Gîtâ” (ancienne Écriture) et le Yoga (pratique expérimentale) sont deux parties convergentes de la même vérité védântique (issue des “Védas”, plus ancienne Écriture d'Inde Inde), ou plutôt deux voies concurrentes menant à sa réalisation, l'une philosophique, intellectuelle et analytique, l'autre intuitive, dévotionnelle, pratique, éthique et synthétique et qui atteint la connaissance par l'expérience.

Cette œuvre ne tend pas à séparer et à opposer, mais à concilier et à unifier. La “Gîtâ” n'est pas faite pour servir d'arme au cours d'une dispute dialectique; elle est une porte ouverte sur le monde entier de la vérité et de l'expérience spirituelles; la vue qu'elle permet, embrasse toutes les provinces de cette suprême région; elle en trace la carte, mais ne la découpe pas en fragments et ne construit ni murs ni haies pour limiter notre vision.

La Conscience Divine

Si vous pouvez accepter l'idéal de tout votre cœur, affronter toutes les difficultés, laisser derrière vous le passé et ses attaches, et si vous êtes prêt(e) à renoncer à tout et à tout risquer pour cette divine possibilité, alors seulement vous pouvez espérer découvrir par l'expérience, la Vérité qui est derrière.

La “Sâdhanâ” (la pratique) de notre yoga ne procède par aucun enseignement mental fixe ni par des formes prescrites de méditation, “mantra” (combinaison de mots ou de sons) ou autres, mais par aspiration, par concentration à l'intérieur ou vers le haut, par ouverture à l'Influence, au Pouvoir divin au-dessus de nous et à son action, à la Présence divine dans le cœur, et par le rejet de tout ce qui leur est étranger. Ce n'est que par la foi, l'aspiration et la soumission que cette ouverture peut se faire.

Réalisation complète & entière

Ce yoga n'implique pas seulement la réalisation de Dieu (la rencontre avec notre soi Intérieur, notre Être Véritable), mais une consécration et une transformation complètes de la vie intérieure et extérieure jusqu'à ce que celles-ci soient capables de manifester une conscience divine et de faire partie d'une œuvre divine.

Ceci implique une discipline intérieure bien plus exigeante et bien plus difficile que de simples austérités (abstinences, modérations) morales et physiques. On ne doit pas s'engager sur cette voie, beaucoup plus vaste et plus ardue que celle de la plupart des autres yoga, à moins d'être sûr de l'appel psychique et de notre résolution de persévérer jusqu'au bout.

Descente de la Force

Lors de ce cheminement spirituel, le vide s'emplit peu à peu, et une pression s'installe très graduellement par petites doses, prend une forme plus distincte et on sent un véritable courant qui descend — un courant de force, qui n'est pas semblable à un courant électrique désagréable, mais plutôt à une masse fluide.

Ce courant, au début, est assez spasmodique (convulsif, agité), irrégulier, et il faut un léger effort conscient pour se rebrancher sur lui quand il s'est estompé (effacé, affaibli); puis il devient continu, naturel, automatique, et il donne la sensation très agréable d'une énergie fraîche, comme une autre respiration, plus vaste que celle de nos poumons, qui nous enveloppe, nous baigne, nous allège et, en même temps, nous emplit de solidité.

Vision claire

Dans la vie quotidienne, au milieu de notre travail et des mille occupations, le courant de force est tout d'abord assez dilué, mais, dès que nous nous arrêtons un instant et que nous nous concentrons, c'est un envahissement massif. Tout s'immobilise. On est comme une jarre pleine; la sensation de “courant;” disparaît même comme si tout le corps, de la tête aux pieds, était chargé d'une masse d'énergie compacte et cristalline à la fois (“un bloc de paix solide et frais;”, comme dit Sri Aurobindo).

L'observation et l'expérience vécues ne sont plus alors perçues de la même manière, notre vision intérieure a commencé à s'ouvrir, nous nous apercevons même que tout est bleuté.

La Force Tranquille & Transformatrice

Nous touchons ici, expérimentalement, la différence fondamentale entre le yoga intégral de Sri Aurobindo (purna yoga) et les autres yogas.

Si l'on essaye d'autres méthodes de yoga avant celle de Sri Aurobindo, on s'aperçoit, en effet, d'une différence pratique essentielle : au bout d'un certain temps, on a l'expérience d'une Force ascendante (appelée kundalinî en Inde), qui s'éveille assez brutalement dans notre être à la base de la colonne vertébrale et s'élève de niveau en niveau jusqu'à ce qu'elle ait atteint le sommet du crâne, où elle semble éclore dans une sorte de pulsation lumineuse, rayonnante, qui s'accompagne d'une sensation d'immensité (et souvent d'une perte de conscience, qu'on appelle extase) comme si l'on avait débouché éternellement Ailleurs.

Paix intérieure

Notre expérience du courant descendant est l'expérience de la Force transformatrice. C'est Elle qui fera le yoga pour nous, automatiquement (pourvu qu'on la laisse faire), Elle qui remplacera nos énergies vite essoufflées et nos efforts maladroits, Elle qui commencera par où finissent les autres yogas, illuminant d'abord le sommet de notre être, puis descendant de niveau en niveau, doucement, paisiblement, irrésistiblement (notons bien qu'Elle n'est jamais violente; sa puissance est étrangement dosée, comme si Elle était conduite directement par la Sagesse de l'Esprit) et c'est Elle qui universalisera notre être tout entier, jusqu'en bas. C'est l'expérience de base du yoga intégral.

“Quand la Paix est établie, la Force supérieure ou divine, d'en haut, peut descendre et travailler en nous. D'habitude, elle descend d'abord dans la tête et libère les centres mentaux, puis dans le centre du cœur... puis dans la région du nombril et des centres vitaux... puis dans la région du sacrum et plus bas... Elle travaille, à la fois, au perfectionnement et à la libération de notre être; elle reprend notre nature tout entière, partie par partie, et la traite, rejetant ce qui doit être rejeté, sublimant ce qui doit être sublimé, créant ce qui doit être crée. Elle intègre, harmonise, établit un rythme nouveau dans notre nature.”

Émergence d'un nouveau mode de connaissance

Le yoga n'est pas tant une façon d'apprendre que de désapprendre une foule d'habitudes soi-disant impératives que nous avons héritées de notre évolution animale.

Dans ce nouveau mode d'action, il est possible de se déhabituer à dépendre du mental pour réfléchir (se souvenir, chercher, discuter) ou pour agir (marcher, manger, travailler).

Chaque expérience de connexion à notre for intérieur (l'aspiration, la recherche de la paix & du Silence en soi), sera d'autant plus présente & durable, à force d'habitude & d'entraînement.

Cette impression étrange de vivre quelque chose au fond de soi, comme en arrière plan, se fera de plus en plus omniprésente et il suffira de prendre du recul dans sa conscience pour qu'à n'importe quel moment, en une seconde, la vibration de silence soit retrouvée.

Il découvrira que c'est là, toujours là, comme une profondeur bleutée par-derrière, et qu'il peut à volonté s'y rafraîchir, s'y détendre, au milieu même du vacarme et des ennuis, et qu'il promène avec lui une retraite inviolable et paisible.