Notion de curiosité artificielle
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Trois minutes pour comprendre / Three minutes of learning
philippelopes@free.fr
S'AFFRANCHIR D'UN PROGRAMME
Les chercheurs en intelligence artificielle s'intéressent à la cognition des enfants en bas âge. L'idée est de retranscrire cette incroyable capacité à acquérir de manière autonome _et dans un ordre bien particulier_ une grande variété de compétences. L'une des clés de ce logiciel serait d'intégrer dans ce programme une dose de curiosité.

"Une intelligence artificielle généraliste ne pourra émerger que si on laisse aux agents informatiques la liberté d'explorer leur environnement et de comprendre par eux-mêmes comment le monde fonctionne", professe Jürgen Schmidhuber, pionnier du domaine à l'université de Lugano (Suisse).

"La curiosité humaine est un comportement exploratoire spontané qui n'est pas motivé par la recherche de nourriture, de protection ou de reconnaissance sociale, mais qui s'exerce dans le seul but de collecter des informations pour ce qu'elles sont: c'est fondamental pour le développement d'un enfant qui découvre son corps, son environnement, le langage", éclaire Pierre-Yves Oudeyer, grand spécialiste en robotique développementale à l'Inra.
D'où "l'idée d'algorithmes dotés de cette 'motivation intrinsèque' qui leur permettrait d'apprendre, sans l'intervention d'un humain, un vaste répertoire de tâches nouvelles."

MANIPULER DES OUTILS
L'expérience vient d'être menée par une équipe de l'université de Bordeaux: un robot curieux, baptisé Torso, a été placé devant un joystick permettant de contrôler à distance un bras robotisé en contact avec une balle de tennis.

Après des premiers mouvements erratiques (irréguliers) dignes d'un nourrisson, Torso commence à percuter le joystick puis, au fil de son exploration, à le manipuler plus finement.

L'algorithme capte alors de lui-même les corrélations entre ses propres mouvements et ceux de la balle de tennis. Au bout de quelques heures, il devient capable d'orienter la balle dans la direction désirée.

EXPLORER LEUR ENVIRONNEMENT
Depuis un an environ, plusieurs équipes de recherche immergent leurs algorithmes curieux dans les mondes ultra-hostiles des jeux vidéo. Avec, à la clé, des résultats bluffants.

Animé par sa seule soif d'apprendre, un robot de Google est ainsi parvenu à parcourir 15 des 24 pièces pleines de chausse-trappes du redoutable jeu Atari Montezuma Revenge.

Un algorithme de l'université de Berkeley vient aussi d'explorer une large partie du premier niveau de Super Mario Bros, comprenant de lui-même comment sauter au-dessus des obstacles et tuer ses ennemis. Des apprentissages qui lui ont permis d'explorer les territoires inconnus des niveaux suivants.

MAÎTRISER LE LANGAGE
Des chercheurs de l'Inria ont récemment mis en évidence le rôle de la curiosité dans la maîtrise du langage par les robots.

L'algorithme doté d'un système de vocalisation artificiel commence par explorer de manière autonome les différentes possibilités vocales, et tente ensuite d'imiter les sons de son environnement, il babille. Puis le robot en vient à former, tel un enfant de 12 mois, des proto-syllabes, pour en arriver envin à des syllabes.

Une étude française parue au début de l'année 2017 montre qu'un robot curieux parvient à associer les sons prononcés à un objet.

AXES DE RECHERCHE
Repousser ses limites
Comme tout bambin, le robot privilégie les exercices adaptés à son niveau de compétences. "Les objectifs jugés inatteignables au début deviennent de plus en plus accessibles au fil des apprentissages." complète Sao Mai Nguyen, du dépatement Informatique de Télécom Bretagne.

Eviter les missions impossibles
Imaginez une intelligence artificielle complètement absorbée par la vision des nuages dans le ciel aux formes constamment renouvelées. "Ces algorithmes doivent pouvoir ignorer les aspects de l'environnement sur lesquels ils ne peuvent pas agir", insiste Deepak Pathak, spécialiste en apprentissage machine à l'université de Berkeley (Etats-Unis).

Créer de la créativité
"Les systèmes curieux génèrent des séquences d'actions ou des expériences nouvelles qui mènent parfois à découvrir des régularités jusqu'ici ignorés", se félicite Jürgen Schmidhuber. Cela pourrait être "une nouvelle forme de musique, une nouvelle blague, ou de nouvelles données expérimentales obéissant à des principes physiques jusqu'alors inconnus".

Mentir, une histoire de stratégie
Les équipes de Facebook ont révélé, en juin 2017, que certains de leurs robots conversationnels s'étaient mis spontanément à mentir ... Ce phénomène troublant est apparu lors d'une expérience de négociation entre deux algorithmes, lesquels devaient se répartir un butin constitué d'objets de différentes valeurs _un livre, deux chapeaux, trois ballons.
Les chercheurs ont constaté que, pour parvenir à leurs fins, ces programmes n'hésitaient pas à feindre (simuler, faire semblant) un intérêt pour un objet de peu de prix ... pour ensuite donner l'impression de faire une énorme concession en les cédant à leur adversaire. Une stratégie gagnante qui constitue sans doute l'un des tout premiers mensonges artificiels.
REFERENCES
Science & Vie octobre 2017 n°1201