Deux zéros mayas
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by Pepe ©
 
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Scribes mayas
Les scribes mayas jonglaient avec les dates et les durées, ils sont ici représentés au travail sur un vase polychrome de la période classique (du IIIe au IXe siècle).

 
Origine, raisons, hasard
Les Mayas, passés maîtres dans l'analyse numérique, sont les seuls à avoir distingué le zéro cardinal (indiquant les quantités) pour marquer les durées et le zéro ordinal (notant le rang), utilisé pour les dates.
Toutes les langues distinguent singularité et pluralité. Elles permettent d'exprimer la paire et l'unité, la moitié, mais aussi l'absence, le vide, bref la quantité nulle. En ce sens, les nombres sont des universels disponibles pour l'aventure arithmétique. En revanche, le chiffre zéro est une curiosité beaucoup plus rare. Il apparaît seulement dans certaines concentrations urbaines ayant une numération parlée bien organisée, et surtout une écriture du nombre d'un type particulier, une numération écrite de position: les nombres s'écrivent avec des chiffres dont l'ordre indique les quantités auxquelles il se réfère, par exemple, les unités, les dizaines, les centaines ... A ce jour, les archéologues et les historiens ont découvert quatre numérations écrites de position avec un zéro: en Mésopotamie, en Méso-amérique, en Inde et en Chine.
La plus ancienne numération de position est née en Mésopotamie. Liée aux besoins de dénombrement et de mesure des premières civilisations, cette numération émerge peu à peu des systèmes métrologiques. Elle est d'usage courant en 1900 avant notre ère, mais elle est dépourvue de zéro. Les scribes se contentaient de laisser un espace blanc entre les chiffres. Le blanc n'étant pas calibré, une suite de chiffres successifs formait des nombres différents, mais l'ambiguïté ne gênait pas les scribes.
Le premier zéro connu apparaît tardivement, à Babylone, quelques siècles avant notre ère, sous la forme d'une marque typographique (deux chevrons) déjà utilisée pour marquer une séparation. L'usage de ce premier zéro est resté limité, et n'a pas levé toutes les ambiguïtés: son absence en position finale équivaut à ne pas préciser l'unité d'usage. Le premier zéro n'est pas mort-né, mais il n'a pas eu de descendance.
 
Les origines du zéro
Le zéro que nous utilisons vient de l'Inde, où une élite se plaisait à nommer de très grands nombres et à calculer, par exemple, les combinaisons de vers possibles selon une structure poétique grammaticale donnée. Le zéro était alors indispensable et le mot employé pour le désigner, sunya ("vide"), a donné nos termes "chiffre" et "zéro". Puis il a gagné nos contrées par le truchement des Arabes: ils apportèrent la numération décimale à un Occident qui lui prêta longtemps une origine diabolique.
Une fois la numération acceptée, la simplicité et la puissance du zéro furent aveuglantes, au point de nous empêcher de voir les productions des autres civilisations. En effet, la transparence du système provoque l'illusion que le nombre est une abstraction cardinale, que l'on déposerait purement et simplement sur la surface d'écriture, sans traduction. La numération décimale n'est pas une évolution nécessaire, de la même manière le zéro décimal n'est pas universel. Sa diffusion planétaire doit moins à la nécessité arithmétique qu'à l'expansion arabo-musulmane, puis à celle de l'Occident. Le nombre ne se réduit pas à son aspect cardinal, il possède d'autres facettes, notamment ordinale et fractionnaire.

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Principe du Calendar Round
Le scribe ne mesure pas les choses ou les êtres, il fixe les dates, et mesure les durées. Les Mayas disposaient de deux calendriers. L'un religieux (le tzolkin), constitué de 260 jours, l'autre solaire ou civil (le haab) de 365 jours. La combinaison des deux calendriers fournit la date complète d'un jour, telle qu'on la trouve inscrite sur de très nombreux documents, repérée par les quatre informations αX βY, par exemple, 4 Ahau 8 Cumku. L'ensemble des combinaisons forme un calendrier de 18 980 jours que désigne l'expression Calendar Round.
Les Mayas inventèrent les glyphes de période, contribuant ainsi à saisir le système et à rationaliser l'écriture des durées. Les glyphes de période présentent de nombreuses variantes que l'on regroupe en style normal et céphalomorphe (le signe avait la forme d'une tête). Grâce à cette concrétisation du système des unités de temps, les scribes mayas exprimaient toute durée sous la forme S ciPi. Pi représente explicitement une période déterminée et elle est affectée d'un coefficient, le ci correspondant. Ainsi, l'écriture "9.15.0.0.0." des codex correspond à l'écriture sur les monuments de "9 baktuns 15 katuns 0 tun 0 uinal 0 kin" qui indique toutes les unités successives.
L'écriture non redondante (ou abrégée) oblige à écrire les coefficients dans un ordre strict et à marquer les zéros (ce qui ne faisaient pas les Babyloniens. En revanche, l'écriture redondante n'oblige ni à marquer les zéros ni même à respecter l'ordre, bien que cette "facilité" n'ait pas été utilisée.
Le système des glyphes de période servait à exprimer les grandes durées. Elles pouvaient être lues comme des sortes de dates absolues. Issues de durées, ces dates sont présentées par leur distance à une origine arbitraire. Toute durée sigmaciPi pouvait ainsi être traduite en date αXβ'Y', et vice versa. Par exemple, la durée 9- baktun 1- katun< 0- tun 0- uinal 0- kin, ou 9.1.0.0.0., en écriture des codex conduit à la date 6 Ahau 13 Yaxkin (αXβY) du Calendar Round.
De telles équations sont nombreuses sur les monuments du classique (du IIIe au IXe siècle). Elles montrent que les scribes mayas marquèrent très vite systématiquement tous les zéros, même en position finale, et ce malgré qu'ils soient redondants dans ce type de notation des durées/dates.

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Les deux zéros
Pendant les deux siècles (du IIe au IVe siècle) qui séparent l'apparition des glyphes de période et celle du zéro, les scribes mayas se contentèrent, comme les Babyloniens, de ne rien écrire quand une unité particulière ne contribuait pas à l'expression d'une durée. Cependant, à l'inverse de l'usage babylonien, ce blanc est surtout attesté lorsque les zéros tombent à la fin d'un nombre. Aucune ambiguïté n'en résulte puisque toutes les unités étaient explicitement inscrites.
La rigueur de l'analyse des nombres (les dates en logique ordinale et les durées en logique cardinale) et la précision des écritures ont conduit les Mayas à distinguer deux signes zéro. Les scribes ne confondirent jamais les deux notions et n'échangèrent jamais les notations.
Comme les 19 autres chiffres de la numération, le premier signe, ou zéro cardinal, sert à former l'écriture des durées. Il marque la non-contribution d'une unité particulière. Sa plus ancienne attestation remonte au 2 février 357.
 

 
Le second, ou zéro ordinal, est plus ancien. Il sert à noter le quantième de départ du cycle des jours que forme chacun des mois de l'année civile. C'est un numéro d'ordre, un rang, que l'on trouve dans l'écriture des dates βY du haab, toujours suivi d'un glyphe de mois, comme dans 0 Pop, l'équivalent de notre 1er janvier.
Les deux signes présentent des variantes et ont des distributions différentes. Dans les codex où le scribe n'écrivait pas les glyphes de période, le zéro cardinal est un chiffre pour former l'écriture d'un nombre. En revanche, sur les monuments, ce zéro est un déterminant (un coefficient) et il est suivi du glyphe de période de l'unité qui ne contribue pas dans ce cas-là à l'expression de la durée. Le zéro ordinal n'apparaît jamais dans ces contextes, mais toujours devant un nom de mois pour en indiquer le premier jour.
 
Au début du XXe siècle, l'anthropologue Sylvanus Morley étudia ces distributions et distingua les deux zéros. Il classa également l'ensemble de leurs variantes en croisant le support (codex ou non) et le style (normal ou céphalomoprhe) de l'écriture. Ce classement démontre que ces glyphes renvoient, indépendamment du support et du style, à deux concepts différents; les deux zéros mayas. Les étymologies différentes des deux signes confirment également ce distinguo. Le zéro cardinal dérive de l'idée d'accession, d'avènement, de début, et il présente peu de variations.
Le zéro cardinal renvoie à l'idée d'achèvement, de fin, d'accompli, peut-être aussi de bifurcartion: il présente  des variantes. Par exemple, en style céphalomorphe, le zéro cardinal est caractérisé par la main de l'achèvement, laquelle peut avoir le pouce en direction opposée ou parallèle aux doigts: le nom d'un lieu, gravé sur la stèle E de Quirigua et sur le panneau 3 du site Q, a prouvé récemment que ces deux présentations de la main sont subsituables.
Que le zéro cardinal maya renvoie à l'idée d'achèvement permet de comprendre qu'il admette la variante, paradoxale pour un Occidental, qui consiste à lui substituer le signe de 20. Ce que l'on voit par exemple sur la stèle 5 de Pixoy: le zéro cardinal a été représenté par le glyphe du 20 lunaire dans l'inscription 9-baktun 13-katun 20/0-tun 20/0-uinal 20/0-kin.
La classification des zéros mayas établies par l'anthropologue Sylvanus Morley met en évidence le zéron cardinal (employé pour les durées) et le zéron ordinal (pour les dates).
La forme diffère également selon que les zéro sont écrits dans des codex ou gravés dans la pierre des monuments. Enfin, on distingue le style normal du style céphalomorphe.
 

 
De l'usage de chacun des zés
Le zéro cardinal s'emploie exactement comme un zéro de position, c'est-à-dire comme un coefficient déterminant le compte nul de l'unité de temps qui ne contribue pas à l'expression de la durée représentée. Dans les codex, les unités ne sont pas écrites et l'on a une "vraie" numération de position. Sur les monuments, toutes les unités sont explicitement représentées, chacune avec son coefficient. C'est une numération de position redondante, que l'on peut dire "de position<", ne précisant qu'elle possède un zéro. C'est sous cette forme que furent gravées les trois plus anciennes occurences du zéro cardinal maya sur les stèles 18 et 19 de Uaxactún au Guatemala. En d'autres termes, et comme les 19 autres chiffres, le zéro cardinal est un déterminant, et donc un signe dépendant, obligatoirement suivi d'un classificateur, tel un glyphe de période.
Dès sa première attestation à Uaxactún, le zéro cardinal a la forme d'une fleur à quatre pétales arrondis autour d'un gros pistil. Toujours accolée à un glyphe de période, la partie droite de ce signe disparaît à l'endroit de la jonction.
Vraisemblablement d'origine solaire, ce signe devait demeurer, au moins jusqu'à la fin de la période classique (IIIe au IXe siècle), la forme la plus ordinaire du zéro cardinal maya. Le signe du jour maya, de valeur phonique kin, a également la forme d'une fleur à quatre pétales. Le signe du jour zapotèque (les Zapotèques et les Olmèques sont des peuples voisins des Mayas) est graphiquement identique au zéro cardinal maya.
Le zéro ordinal apparaît pour la première fois le 16 septembre 320. On le voit au verso d'une pendeloque de jade nommée plaque de Leyde (figure ci-dessous).
 
Le zéro y est suivi de l'expression du mois Yaxkin. Le signe du zéro ordinal n'a pas été inventé pour cet usage, car il était déjà utilisé pour marquer l'accession au pouvoir d'un souverain. De même, il pouvait indiquer le début d'une période de temps, par exemple d'un tun. Il semble naturel que les scribes l'aient utilisé pour marquer le premier jour d'un mois.
La plaque de Leyde présente la particularité de témoigner des deux usages précédents, saisis avant leur différenciation. En effet, à la suite de la notation 0 Yaxkin, on trouve celle de l'accession du souverain représenté au recto de la plaque. Le signe d'accession dérive du pictogramme de l'intronisation représentée, dès les tout premiers textes, par le schéma du bassin d'un homme assis, vu de profil. A partir de ce pictogramme, on aboutit au glyphe du zéro ordinal.
Jusqu'à la période postclassique (entre le IXe siècle et l'arrivée des Espagnols au XVIe siècle), le pictogramme de l'accession est resté la seule forme graphique du zéro ordinal. Contrairement au zéro cardinal, ses variations graphiques sont peu importantes.
Le principe cyclique introduit une variante dans l'écriture de la date du premier jour d'un mois du haab. Cette variation repose sur la bivalence des points de départ et d'arrivée de tout cycle: un point d'arrivée est toujours le point de départ du cycle suivant. La variante consiste à nommer le premier jour d'un mois comme s'il était le suivant du dernier du mois précédent, comme si nous désignions le 1er janvier par le le 32 décembre.
Les variantes systématiques sont bien attestées. Par exemple, sur un linteau de Yaxchilan, au Chiapas, le jour équivalent au 20 juin 768 était un 0 Mol. Pourtant, il fut noté 20 Yaxkin, c'est-à-dire comme le 21e jour du mois précédent ( puisque l'on part de zéro et non pas de un, comme en France).
 
La plaque de Leyde est le plus ancien témoignage de l'emploi du zéro ordinal. Au verso de cette pendeloque de jade, après la durée "8 baktun 14 katun 3 tun 1 uinal 12 kin" et la date religieuse "1 Eb" (les nombres sont en rouge), on peut lire la date civile "0 Yaxkin" (le zéro en bleu et le mois en orange), qui serait la date d'accession au pouvoir d'un souverain. On voit aussi, sous le zéro ordinal, le glyphe de l'accession "il est monté sur le trône."

 
La genèse des nombres
Diverses réponses furent apportées à la question "d'où vient le nombre ?". Pour la pensée scientifique, le mathématicien Cantor a distingué et construit les axiomatiques de l'ordinal et du cardinal. Pour la pensée naturelle, le linguistique Caprile a montré que beaucoup de gestuelles numérales distinguent le geste montrant le numéro du geste montrant la quantité. Par exemple, en France, les gestes pour quatrième (l'auriculaire reste replié) et pour quatre (le pouce est plaqué sur la paume) sont différents. En d'autres termes, les gestuelles numérales se répartissent en ordinales et cardinales.
Les Mayas sont les seuls arithméticiens de l'Antiquité à avoir construit une numération de position à deux zéros, qui leur permit d'exprimer, à 24/301 (environ 8/100) de jours près, la durée moyenne de la révolution synodique de Vénus, c'est-à-dire le temps requis pour que cette planète revienne à la même place dans le ciel par rapport au Soleil.
 

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Pour la Science avril / juin 2005 Mathématiques exotiques n°47
 
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