Stances du Cid
By Pierre Corneille (1606-1684)

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[Acte 1 , Scène 4]

Ô rage ! ô désespoir ! ô viellesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?

Mon bras qu'avec respect tout l'Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,

Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?

ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Oeuvre de tant de jours en un jour effacée !

Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d'où tombe mon honneur !

Faut-il de votre éclat voir triompher Le Comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?

Comte, sois de mon prince à présent gouverneur;
Ce haut rang n'admet point un homme sans honneur;

Et ton jaloux orgueil par cet affront insigne
Malgré le choix du roi, m'en a su rendre indigne.

Et toi, de mes exploits glorieux instrument,
Mais d'un corps tout de glace inutile ornement,

Fer, jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense,
M'as servi de parade, et non pas de défense,

Va, quitte désormais le derniers des humains,
Passe, pour me venger, en de meilleurs mains.